Pourquoi les familles nombreuses ont-elles mauvaise réputation ?

Publié le par veni creator

Nous vous livrons  ci dessous la reproduction d'un article dont le contenu pourrait paraitre surprenant sur un site dépendant du bobo "nouvel observateur":

 

Pour voir l'article original:  http://leplus.nouvelobs.com/contribution/341958-pourquoi-les-familles-nombreuses-ont-elles-mauvaise-reputation.html 

 


Avec un indice de fécondité record de 2.01 enfants par femme, les Françaises sont devenues championnes européennes de la natalité. Si la famille française semble avoir de beaux jours devant elle, "le foyer type" est indéniablement représenté par un couple avec un à trois enfants : au-delà, on parle volontiers de "grande" famille, de "belle" famille, voire tout bonnement de famille nombreuse.

 

À notre époque, avoir quatre enfants ou plus est un fait qui passe rarement inaperçu et qui engendre souvent bien des réactions. Bien plus que l’admiration suscitée par l’investissement que peut représenter l’éducation d’une telle tribu, les familles nombreuses font l’objet de toutes les interrogations et ne sont pas toujours vues d’un bon œil. Petit panorama des idées reçues sur les familles nombreuses.

 

Catholiques ou cas sociaux ?

 

Grâce à l’essor des émissions type témoignages ("C’est quoi l’amour" et autres "Confessions intimes") et de la télé-réalité, avoir la possibilité de jeter un œil sur le quotidien d’une famille nombreuse est un divertissement que la télévision nous offre désormais de façon très régulière. Bien calé dans son canapé, on zappe frénétiquement sur ce genre d’émissions en seconde partie de soirée, convaincu, dès le générique, que l’on n’aura pas complètement perdu sa soirée en compagnie de Guillaume, 35 ans, qui a peur des clowns, Karin, 26 ans, fan de tuning et Marie-Cécile, 32 ans, maman de 7 enfants.

 

 

 Bande-annonce émission "Tellement Vrai" diffusée sur NRJ12

 

Car si l’on admet volontiers l’exagération caricaturale qui réside dans la plupart de ces sujets, il va sans dire que le cliché de la famille nombreuse est loin d’être épargné. Concrètement, la télévision aime nous dépeindre deux catégories de familles nombreuses, deux, pas plus : d’un côté, la famille catholique ultra pratiquante, et de l’autre, la famille très modeste qui cause bien la France et qui se plaît à affubler sa progéniture de prénoms américains empruntés aux séries télévisées.

 

Ainsi se résume donc le concept de famille nombreuse, selon ce que la télévision veut bien nous en livrer. Régulièrement, nous sommes amenés à nous passionner, le temps d’un reportage, pour Marie-Christine qui exige le vouvoiement, envoie ses enfants à l’école en jupes plissées et culottes courtes, leur fait réciter leur prière agenouillés dans le salon familial, et qui est pourvue de la faculté inouïe de ne jamais s’embrouiller en appelant ses enfants, bien qu’ils soient 7 ou 8 à posséder un prénom composé comportant "Marie".

 

Marie-Adèle, Marie-Elisabeth, Pierre-Marie et leurs nombreux frères et sœurs sont parfaitement polis, disciplinés et toujours impeccables et de notre côté de l’écran, on en vient à éprouver de la sympathie pour cette mère exemplaire, allant jusqu’à lui pardonner le port du serre-tête en velours bordeaux, même si dans le fond, on rit, on rit beaucoup.

 

Quand la caméra a fini de s’attarder sur le quotidien de ces derniers, elle nous entraîne dans une famille radicalement opposée afin de nous permettre, à nous autres, téléspectateurs toujours friands de voyeurisme et de pointage du doigt de ploucs, de pouvoir rire grassement. Entassés dans une petite maison bancale qui semble en travaux depuis toujours (et qui le restera probablement ad vitam eternam), notre seconde famille nombreuse nous est ainsi présentée sous les traits d’un chômeur longue durée et d’une femme au foyer depuis toujours, à la tête d’une smala agitée.

 

Dylan et Brandon s’en prennent à Jenifer qui a raté son brevet des collèges pour la troisième fois tandis que Jason, depuis sa chaise haute, s’amuse de la situation en émettant des borborygmes dans lesquels on jurerait reconnaître quelque gros mot. Les aînées, maquillées comme des voitures volées, tentent de calmer la situation mais la petite Sue Ellen réclame sa tranche de quatre-quarts industriel en hurlant, la pendule Ricard suspendue dans la cuisine indiquant en effet l’heure du goûter.

 

Difficile donc d’exiger que les familles nombreuses aient meilleure réputation quand l’on voit de quelle façon la télévision s’évertue à les dépeindre, pour le plus grand plaisir des téléspectateurs qui regardent ces programmes comme s’ils assistaient à un spectacle de freaks d’un nouveau genre.

 

Et la pilule, vous connaissez ?

 

Un enfant, c’est bien, tout le monde se réjouit. Un second ? Toutes nos félicitations, la famille s’agrandit ! Un troisième ? Ma foi, voilà qui est honorable et qui vous propulse déjà un peu dans le rang des grandes ou "belles" familles. Mais faire un autre enfant, quand on en a déjà trois, voilà qui ne passe pas inaperçu et qui va susciter bon nombre d’interrogations.

 

Qui dit quatrième enfant dit obligation d’investir dans une voiture six places, sans parler de l’emploi du temps chargé, non vraiment, quelle drôle d’idée de remettre le couvert quand l’on commençait tout juste à respirer avec les trois premiers devenus autonomes.

 

Comme si avoir un quatrième enfant, ou plus, relèverait de l’incompréhension générale. Ainsi découvre-t-on, quand on est future maman d’un quatrième enfant (ou plus), que cette fois-ci, la nouvelle ne sera pas exactement accueillie de la même façon, et que la première question suscitée sera la suivante : était-ce voulu ou était-ce un accident ?

 

Comme si vouloir plus de trois enfants était suspect, cachait forcément quelque chose. Il n’est donc pas rare que les mamans de famille nombreuses fassent l’objet d’allégations des plus déplacées en matière de mœurs sexuelles et/ou de contraception, ce qui est toujours très agréable à entendre :

 

"Faut arrêter de baiser comme des lapins hein !"

"Ton mari, faut lui jeter un seau d’eau s’il sait pas se tenir, hahaha !"

"Et la pilule, tu connais pas ??"

"Mais tu pouvais pas te faire poser un stérilet après le dernier, comme tout le monde !"

"Bon, après celui-là, c’est on ligature les trompes hein ?!"

"Mais… mais… encore un ? Tu vas quand même pas… le garder c’coup-ci ?"

 

Pour information, avoir "encore" un enfant n’est pas nécessairement révélateur d’uné étourderie consistant à oublier sa pilule contraceptive un jour sur deux. Ni d’une ignorance en matière de contraception. Ni d’un préservatif qui aurait craqué. Ni d’une recette contraceptive de grand-mère qui aurait échoué. Parfois, cet enfant de plus résulte juste du désir des deux parents d’avoir encore un enfant. Pas de l’inconscience de parents un peu couillons et trop distraits. Eh ouais, ça arrive.

 

Des fainéants juste bons à percevoir les alloc’

 

Au palmarès des choses que l’on est ravis d’entendre quand on est parents de famille nombreuse : l’argument "alloc’". Car forcément, pour faire tant d’enfants, il faut bien être, quelque part, vénal et fainéant, et intéressé par l’argent facile aussi. Et les mères au foyer, c’est rien que des faignasses qui ont flairé le bon plan et qui préfèrent palper les allocations familiales, le cul au chaud dans leur salon, plutôt que d’aller se crever la carcasse au turbin.

 

Alors on fait quoi, à ces gens-là ?

 

On leur explique que les allocations familiales, ça dure pas toute la vie (et par conséquent que non, on ne compte pas là-dessus pour payer le crédit de la maison) ? Que de toute façon, ça ne couvre jamais tous les frais qu’engendrent l’éducation d’un enfant ? Que bon nombre de parents font le choix de travailler malgré leur grand nombre d’enfants, adaptant leurs horaires pour pouvoir concilier les deux ? Non, on ne leur dit rien. On va plutôt leur faire croire que le quatrième gosse a permis de payer la véranda et que l’an prochain, on en fera peut-être même un cinquième pour s’offrir notre jacuzzi.

 

Faire des enfants dans un contexte de crise, c'est irresponsable !

 

Alors oui, c’est la crise. Le chômage, l’inflation, les licenciements, les jeunes diplômés sans job, le prix de l’essence, les banques qui ne prêtent plus, les supermarchés qui nous entubent… Comment peut-on oser faire des enfants à une époque où payer ses factures et faire ses courses alimentaires relève du défi pour la plupart des foyers modestes ? Comment mettre au monde des enfants voués à finir chômeurs ? Comment peut-on être égoïste au point de faire des enfants à qui l’on sait pertinemment qu'on ne pourra peut-être pas "tout" offrir quand ils seront grands ?

 

La hausse de l’indice de fécondité en France, au cours des dernières années, prouve bien que le contexte de crise ne porte pas préjudice à la natalité.

 

Au contraire, la famille semble être devenue une valeur refuge à laquelle les Français se rattachent. La crise nous amène certes à vivre autrement, à dépenser moins et différemment, mais en déduire qu’avoir des enfants en temps de crise revient à leur infliger, dès la naissance, toutes sortes de privations et de frustrations, je ne pense pas. Certes, il faut s’adapter.

 

Evidemment, c’est parfois moins simple. On fait des calculs, on simule le coût d’une nourrice ou d’un placement en crèche, on se demande si on doit opter pour un temps partiel, on n’achètera peut-être pas d’écran plat cette année et après ? Si les parents semblent d’accord sur le fait de s’adapter à la venue d’un nouvel enfant, s’ils envisagent ces changements comme de simples changements et non comme une contrainte subie, en quoi serait-il déraisonnable d’avoir des enfants en temps de crise ?

 

Destituer les aînés de leur enfance pour en faire des parents auxiliaires ?

 

Une idée reçue récurrente consiste à considérer qu’avoir une famille nombreuse revient à condamner nécessairement les aînés à gérer leurs frères et sœurs. Des parents de famille nombreuses ne seraient donc techniquement pas en mesure de disposer d’assez de temps, ou d’énergie, pour s’occuper équitablement de tous leurs enfants. J’ai pourtant vu des parents de deux enfants n’hésitant pas à se décharger complètement sur leur aîné, responsabilisé dès le plus jeune âge.

 

J’ai aussi vu des familles de six enfants, ou plus, régie par une organisation exemplaire. Des foyers réglés comme une horloge où les enfants se consacraient pleinement à leur vie d’enfant, quel que soit leur âge, sans être jamais sollicités outre mesure pour assumer leurs frères et sœurs. Une fois encore, tout n’est que question de choix et d’organisation.

 

Et blâmer des parents de famille nombreuses en supposant qu’ils privent les aînés de leur enfance, voilà qui pourrait tout aussi bien s’appliquer à des familles au schèma plus classique.

 

 

Les "Brangelina", symbole de la famille nombreuse, Tokyo le 08/11/2011 (Masatoshi Okauchi / Rex/REX/SIPA)

 

Privilégier l’éducation de certains enfants au détriment des autres 

 

Alors évidemment, il y a la question des finances. Les ressources du foyer ne sont, a priori, pas inépuisables et payer des études à cinq ou six enfants est évidemment bien plus compliqué que d’en payer à un seul ou deux. Mais concrètement, est-ce un problème qui ne se pose QUE dans les familles nombreuses ?

 

Et que faire des foyers modestes composés seulement d’un ou deux enfants, mais dont les revenus des parents ne permettent pas d’assumer une chambre d’étudiant et des études coûteuses, ne serait-ce qu’à un des enfants ?

 

Evidemment, l’on souhaite tous le meilleur pour nos enfants. Et idéalement, on voudrait pouvoir leur payer à chacun un parcours universitaire, le tout servi sur un plateau d’argent. Mais parfois, ça se passe différemment : il y a les bourses d’étude, les jobs étudiants les week-end, la chambre étudiant bon marché au détriment de l’appart en centre ville. Apprendre à son enfant que tout ne lui tombera pas toujours tout cuit dans le bec et qu’il 

faut parfois travailler davantage, est-ce un mal ?

 

Est-ce que cela relève de la frustration ? Est-ce une forme de maltraitance ? Que l’on questionne les adultes d’aujourd’hui ayant suivi des études de cette façon, en gagnant leur autonomie. Personnellement, être caissière tous les week-end ou servir des frites dans un fast food ne m’a jamais empêché de mener des études et d’avoir un bon niveau universitaire. Et je ne me suis sentie ni frustrée ni abandonnée financièrement par mes parents. Peut-être les parents doivent-ils juste cesser de répercuter leurs angoisses sur le devenir de leurs enfants.

 

Et les carences affectives dans tout ça ?

 

Une maman, un papa, ça se partage. S’entendre dire qu’un parent ne peut pas aimer correctement tant d’enfants à la fois, voilà qui me paraît parfaitement infondé. N’a-t-on jamais vu d’enfants uniques en carence affective ? Le manque d’amour et de tendresse est-il censé ne s’appliquer qu’aux familles nombreuses ?

 

Le fonctionnement de l'être humain ne repose-t-il que sur une quantité limitée d’amour ? Allez quoi, soyons sérieux deux secondes : en qui une mère ou un père ne serait-il pas en mesure d’aimer et de chérir équitablement tous ses enfants ? Une telle remise en question n’a tout simplement pas de sens.

 

Bien que ce choix soit donc de plus en plus atypique, il existe donc bel et bien en France et en 2012, à l’heure de la crise économique et du moral dans les chaussettes, des gens comme vous et moi qui font le choix d’avoir une grande famille. Pour le bonheur que cela apporte, pour les moments passés tous ensemble, pour la joie d’être nombreux, ainsi réunis sous le même toit. Ces couples là connaissent la contraception et savent l’utiliser, ont un vrai travail et ne répondent à aucun des odieux clichés véhiculés par la télé-réalité.

 

Ce sont juste des gens normaux qui se sont dits que oui, peut-être bien que leur truc dans la vie, c’était la famille. Et qui se donnent les moyens d’entretenir au mieux cette petite famille en veillant à ce qu’elle ne manque de rien. Si l’on pouvait cesser de considérer ces parents et ces familles comme des sortes de freaks totalement inconscients et déraisonnables, ce serait bien, non ?

Publié dans famille

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