Luttes et faux semblants

Publié le par veni creator

 

Dan s'était allongée sur son lit 2 places devenu trop grand pour une femme seule. Elle tira quelques bouffées de  sa cigarette de cannabis et se demanda combien de temps les médicaments mettraient pour agir. Voulait-elle vraiment en finir? Dan n'en était pas certaine; elle souhaitait simplement trouver la paix, la sérénité. Cela faisait des nuits qu'elle n'arrivait plus à ne rien penser. Son regard s'attarda sur la vieille banderole repliée qui trônait dans un coin de sa chambre depuis déjà quelques années: elle ne s'était pas résolue à s'en débarrasser. Elle l'avait confectionnée avec Nath pour la dernière marche des fiertés; Nath, où était-elle en ce moment, pensait-elle encore à elle ? Et Joann? Sa petite Joann. Quelle ironie la vie! Tant souffrir alors que l'on a passé sa vie à se battre pour plus de justice et de bonheur. "Devenez Gay vous serez toujours joyeux" avaient-elles mis sur la banderole: elles l'avaient portée fièrement, tel un fanal lors du défilé. Le défilé  s'était achevé à la Bastille, dans une ambiance de bal du 14 Juillet: tout le monde s'aimait, tout le monde était heureux; ils avaient célébré la fin de la ségrégation; ils avaient chanté l'égalité enfin reconnue, le droit au bonheur enfin accordé. Ils avaient tout obtenu, le mariage, l'adoption et même le droit au divorce.


Les années suivantes avaient été un vrai tourbillon. Le centre de planning, dans lequel elle travaillait, avait été choisi par le gouvernement pour une mission pilote exaltante: déconditionner les familles de l'emprise et de la tyrannie des rôles et genres imposée par la société masculine depuis des millénaires. Elle en avait informé des enseignants d'écoles maternelles, elle en avait convaincu des parents, elle en avaient fait évoluer des salles de classes en faisant supprimer les jeux pour garçons ou les maisons de poupées pour les filles, elle en avait dénoncé des manuels scolaires qui associaient encore maternité et féminité!


Le mariage avec Nath avait été le premier mariage gay de l'histoire de France: une vraie réussite! Une fête comme les hétéros ne savent pas faire, des kilos de riz à la sortie de la mairie, un baiser enflammé devant les journalistes attendris qui en avaient fait leur une: "le premier mariage gay célébré: Nath et Dan se sont dit Oui pour la vie" .

 

Malgré la joie des festivités Dan avait du cacher ses vrais sentiments : l'impression de vide qu'elle connaissait tant, cette angoisse, qui la prenait au plus profond de ses entrailles, l'avait prise par surprise  durant la cérémonie. Elle avait brutalement été envahie par cette douleur qu'elle se cachait à elle même. Son psy lui avait pourtant dit que c'était un fond de culpabilité judéo-chrétienne qui remontait, que les vrais coupables étaient autour d'elle et qu'elle devait enfin être libre, mais rien n'y faisait.  Elle voulait y croire, elle y croyait; ce n'était pas l'ablation de quelques cellules à l'âge de 17 ans qui en était la cause. Elle était là pour montrer au monde qu'elle était la plus forte, que l'amour n'avait pas de tabous, que la liberté n'avait pas de limites. Elle avait pleuré. Les invités avaient cru que c'était de la joie et avaient applaudi.

 

La solitude et l'angoisse, Dan la connaissait que trop, et plus elle voulait oublier, plus les choses remontaient à la surface. Elle avait toujours eu peur de la solitude, elle voulait qu'on l'aime, qu'on lui dise qu'elle était la plus belle. Elle n'avait jamais eu de père, juste les hommes de passage que sa mère ramenait à la maison. Sa mère sortait souvent le soir, elle revenait tard dans la nuit, parfois accompagnée. Dan faisait semblant que cela ne la dérangeait pas; elle faisait toujours semblant! Mais elle lui voulait de préférer ses salops à sa propre fille. Dan avait commencé à fumer, à boire à courir les garçons: un jour où elle était rentrée à la maison enceinte, sa mère avait paniqué. Pour la première fois Dan avait senti qu'elle existait. Sa mère lui avait parlé avec affection, l'avait convaincue d'aller  au planning familial où on l'aiderait. Des dames très gentilles l'avaient écoutée. Dan avait expliqué qu'elle voulait garder le bébé, qu'enfin sa vie avait un but et que de toute façon elle ne savait pas vraiment qui était le père. On lui avait dit qu'elle ne pouvait pas gâcher sa vie à cause de l'égoïsme masculin, que de toute façon un avortement était un acte médical banal, comme une opération de chirurgie esthétique et que cette ablation était peut-être l'occasion de renouer avec sa mère. Elle avait eu mal, elle n'avait pas vraiment dit oui, mais elle n'avait pas dit non, il était trop tard .Elle était rentré chez elle, elle s'était coupé les cheveux et elle avait pleuré. Plus jamais elle ne se ferait avoir, la colère avait remplacé la vie naissante, elle n'aurait de cesse de se battre pour la justice. Les liens avec sa mère étaient toujours aussi compliqués, mais Dan avait compris que ce n'était pas de sa faute, mais celle des hommes qui la prenaient et la jetaient comme un kleenex. Elle s'était jetée corps et âme dans le combat de sa vie : libérer la société de latyranie masculine. Si les femmes souffraient c'étaient à cause des hommes. Si elle avait souffert c'est parce que le conditionnement l’avait empéché d'être elle même. Si elle était malheureuse, c'est parce que les hétéros brimaient les Gays. Si elle sentait un vide au fond d'elle- même c'était parce qu'on l'empêchait de se réaliser. En tout cas, elle y croyait de toute ses forces. Elle avait enfin des coupables à son malheur.


Dan ne pouvait se l'avouer mais Nath était belle et féminine comme sa mère , mais en plus attentionnée et affectueuse. Nath était libre comme le vent, pas vraiment hétéro pas vraiment homo, juste libre. Libre de dire non, libre de choisir. Dan avait eu instantanément le coup de foudre. Elle était la femme qu'elle aurait été si les hommes n'avaient pas été aussi pervers. Elle l'avait convaincue de se marier: Dan avait accepté, était-ce le coté iconoclaste de la chose, ou plutôt le fait de devenir malgré soit  l'icône d'un combat romantique? Elle s'en fichait, sa devise était "jouir de l'instant présent".


Dan avait la tête qui tournait, les médicaments et l'alcool commençaient à oeuvrer. Elle ne pouvait s'empêcher, au jour où elles avaient décidé de se mettre ensemble, le soir d'une Gay Pride où elles avaient manifesté, bu et fumé. Elles avaient passé la nuit à vider la maison de cet abruti de Carlos qui était parti en voyage d'affaire et qui croyait sa femme en de bonnes mains. Nath  avaient laissé un mot dans la cuisine "bye, bye, l'abruti, ta femme a enfin trouvé sa voie..."


Ayant enfin atteint ce pourquoi elle s’était tant battue, Dan s’était petit à petit enfoncé dans son désespoir. Plus sa cause gagnait des parts de marché sur l’opinion publique, moins elle se sentait en vérité avec elle-même. Plus la société intégrait ce qu’elle réclamait, plus elle se sentait seule et à part, plus l’agressivité à l’encontre de ses ennemis imaginaires grandissait. Plus la société la normalisait, plus elle se sentait différente, plus son angoisse et sa détresse augmentait.


Dans ses nuits d’insomnie, elle s’effrayait à penser qu’elle se mentait à elle-même. Elle se disait affranchie de la morale et des rêgles bourgeoise, mais elle passait en fait son temps à demander à la société de cautionner une vie qu'elle n'assumait pas réellement.

 Elle aimait dire que ses choix de vie l'épanouissaient mais elle passait sa vie à dénoncer des coupables, a chercher des responsables à son mal être.

Elle criait à qui voulait l'entendre qu'écouter sa vraie nature l'avait apaisée mais son agressivité trahissait la haine qu’elle avait contre elle-même. 

 Et voilà qu’elle serait seule pour fêter leur anniversaire de mariage et l’adoption de Joann . 


Nath l’avait plaqué sans prévenir.


En rentrant du travail  Dan avait trouvé la maison vide, elle avait cru à un cambriolage et avait finalement trouvé un mot dans la cuisine: "Bye, je t’aimais bien, mais j’ai besoin de sécurité et de calme. J'ai trouvé un mec bien, je ne veux pas passer à côté de mon bonheur et Joann à besoin d'un père. Veille sur toi… "

 

Le brouillard envahissait son esprit. Non, Joann n'avait pas besoin de père, 2 mères suffisaient à son bonheur. Elle même n'en avait pas eu, elle n'en avait pas souffert, cela ne l’avait pas empêchée d’être une femme épanouie. Et non, sa haine des hommes, ce rejet du paternalisme stupide n’avait rien à voir avec tout ça ! Sa quête de la femme libérée n’avait rien à voir avec son besoin d’être reconnue par sa mère. Qu'ils aillent tous se rhabiller avec leur morale conventionnelle et leur psychanalyse !. Elle toucha son ventre, pensa à la douleur qui la tenaillait et se mis à chanter d’une voie lugubre  "devenez gay vous serez toujours joyeux....."

 

 

Publié dans air du temps

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